La Taupe de Tomas Alfredson
Après Morse, on pourrait croire que ce suédois fou est un amateur de message codé. Voilà pour le jeu de mots hasardeux, voir carrément nul à chier. Quand est-il, Tomas Alfredson signe donc avec La Taupe son deuxième long métrage. Autant vous dire que sa a bougé dans le petit monde du cinéma indépendant. Là où Alfredson avait du affronter tous les crapules productrices pour financer son petit bijou Morse, il n'aura pas eu le moindre mal pour trouver de quoi financer son adaptation du chef d'oeuvre de John Le Carré. A cet égard, beaucoup de messes basses se sont prononcées. 25 Millions de dollars, soit 14856 fois plus que son premier film, de quoi avoir réellement peur quand à la sincérité de son travail.
Pourtant loin de là, Alfredson ne vend pas son âme au diable contrairement au protagoniste (aux protagonistes?) figurant(s) dans La Taupe. D'une part, il renoue formidablement avec le cinéma dit de « grandes angoisses » des années noires de la guerre froide. Sensiblement proche des Hommes du président ou de L'espion qui venait du froid (Forcément de Monsieur Le Carré) auxquels l'on doit certainement les plus grandes heures du genre. Et sans jamais s'éloigner du mise en scène très Hitchcockienne fredonnant un air des 39 Marches.
Méthodiquement la taupe se veux très Storm In A Teacup, les couleurs brunissantes façonnent l'esprit (et la critique vestimentaire) par leur côté indéniablement kitsch. A l'époque où l'on croyait encore qu'un costume Brun/Marron pouvait avoir un semblant de classe British. Rendant admirablement hommage au pays de la reine mère des années seventies, Alfredson permet dans un premier temps de classifier son film dans un contexte propre au conflit : Suspense, Peur, Manque de cohésion. Quand à la difficulté du scénario, il ne faut véritablement pas se fier au pessimisme des indignés qui classent le film comme un Ersatz d'une adaptation incompréhensible digne du maitre Kafka. Le principal problème du film se trouvant ailleurs.
Au contraire, le montage lucide du film permet de suivre cette grande histoire radicalement Anti-James Bond. A commencer par le personnage de Smiley (diablement bien interprété par le génial Gary Oldman) qui pour le coup trouve enfin un premier rôle à sa portée après une flopée d'immenses rôles...au second plan ! Le premier depuis Sid And Nancy en 1986. Alfredson rendant pour une première fois, les espions du MI-6 véritablement humains. Regards tristes, petits hommes enrobés, les grands maitres de ce monde ne sont pas ceux que l'on croit être (même s'ils ont la gueule de Firth!). Pour cela le film d'Alfredson remémore le formidable Les Patriotes, unique film d'espionnage français jusqu'à L'affaire Farewell à ne pas jeter aux ordures publiques.
Suivi d'une flopée d'acteurs pour le moins très bons (Tom Hardy, Colin Firth) ou d'excellent (Mark Strong), Alfredson immerge parfaitement le spectateur dans cette rivalité sans fins de deux blocs au bord du gouffre. Malheureusement, la pâleur et lenteur du film (à l'image de Smiley) dépeignent aussi facilement ce monde pour ceux qui ne l'ont pas vécu de l'intérieur. Il est indéniable qu'Alfredson appartient à ce genre qu'est le cinéma de Maitrise. Véhiculés par d'images magnifiques, d'une photographie radicalement hallucinante...Sauf que derrière, c'est du Le Carré, et qu'il ne chie pas dans la masse. Par son réalisme, le film est naturellement lent. Pas de gadgets, ou de gun-fights bandants à la John Woo (Désolé Pierre, ils ne résident que dans tes rêves de gamins). Alors deux heures, c'est long.
A cet endroit se situe la principale erreur du film (avec sa chute très hésitante) qui ne réussit malheureusement pas à faire croire à tout le monde les louanges dont il a été prescrit. Les hypers-enthousiastes du Times qui crient au chef d'œuvre se sont peut être emballés sur un point. Sa lenteur indéniable, mais peut être qu'ici réside finalement son âme, lui permettant ainsi de superbes mises en abîmes. Comme un grand cri de « ras le bol ! » au pseudo-cinéma d'espionnage qui se contente d'exterminer le genre en nous offrants de ridicules nanars cartonnants au Box Office. Alfredson ne fait que rendre hommage au maître, sur ce point, nul doute que son film aurait pu voir le jour il y trente ou quarante ans, à l'époque où l'on prenait le temps de filmer ce qu'il se passe. (C'est pourtant un grand amateur de série B qui vous parle).
Dans un formidable cadre, La Taupe (c'est René qui pas va pas être content) marque malgré tout une légère déception. Les lenteurs infaillibles du genre qui trouvent toujours preneurs, ne sont que le résultat d'un travail peut être trop soigné. Mais qui offre de magnifiques perspectives pour le cinéma à venir au cours des prochaines années.